Genèse d'une transition




C'est compliqué de se souvenir, au fur et à mesure que le temps poursuit son oeuvre d'érosion...on mélange les dates, les lieux, tout se confond plus ou moins dans les limbes de la mémoire, on se revoit il y a 30 ans avec le visage d'aujourd'hui, on a tendance à enjoliver les choses ou à les sublimer... Pas facile, mais je vais essayer d'être la plus proche de la réalité de l'époque.

D'aussi loin que je me souvienne, tout a commencé vers l'âge de 9 ou 10 ans. Mes parents travaillant tous les deux, je me retrouvais souvent les mercredis à être gardée par ma grand-mère, chez qui logeait également une de mes tantes. D'un naturel assez solitaire, je passais les après-midis à jouer seule ou à écouter des disques de musique classique sur le "phonographe" de ma tante (un Teppaz). J'aimais bien Mozart et Peer Gynt, entre autres. Mais j'ai oublié de planter le décor. La maison de ma grand-mère était une vieille maison de ville, ayant anciennement appartenu à la Paramount. Vous savez, ces vieilles maisons de caractère, au caractère suranné, meublées à l'identique, ce côté "vieille France", avec leurs odeurs d'antan, les boiseries qui craquent la nuit, les multiples coins et recoins, autant de cachettes qui peuplent les souvenirs d'enfance, le temps des cerises qu'on allait cueillir sur l'arbre, les nappes à carreaux blancs et rouges sur la table de jardin, à l'ombre de la verrière "arts-déco", pour déguster une limonade comme on en faisait encore à l'époque, celle avec la bouteille à capsule de porcelaine refermable et son joint de caoutchouc, le temps de l'innocence. Enfin bref, je m'égare, nostalgie quand tu nous tiens...un peu trop sensible et romantique, et le garçon que j'étais à l'époque, plutôt chétif et ayant la plupart des traits de sa mère, n'allait pas franchement à l'encontre de tout ça.

Donc me revoici, avec ces après-midi passées à attendre le retour de mes parents, en m'occupant comme je le pouvais. Et puis un jour, en quête de trésors cachés, d'histoires de coffres de pirates relégués dans les greniers séculaires de ces vieilles demeures, il me prend l'idée d'aller explorer l'armoire-vitrine trônant dans la chambre de ma tante, à l'étage. C'était une armoire-penderie-commode à tiroirs au centre de laquelle se trouvait une vitrine, comportant tout un tas d'objets hétéroclites, souvenirs de voyages, bijoux, photographies, etc...et qui ne manquaient pas de constituer autant de "trésors" pour un gamin qui s'ennuyait. Je me souvenais y avoir déjà emprunté une petite gondole en plastique, ramenée de Venise, vous savez ces trucs kitch pour touristes en mal de bric à brac, avec la petite lanterne rouge à l'arrière. Après avoir passé en revue tous les objets composant ce mini inventaire à la Prévert, et finalement vite blasée, j'ai eu l'idée de pousser plus avant mes investigations.

J'ai donc ouvert les deux portes du bas et je suis tombée sur les étagères à chaussures...et là, sans trop savoir ni comprendre pourquoi, j'ai eu envie d'essayer une paire d'escarpins noirs qui se trouvait là. Et là, la révélation....

J'ai troqué les tennis que je porte habituellement contre ces chaussures d'un tout autre genre. C'est une première, et ça me laisse perplexe. Au fond de moi, je me dis que c'est "interdit", que c'est "mal", que ce n'est pas "normal", quelque chose contraire aux règles établies....et en même temps, je ressens un immense bien-être. Physiquement tout dabord, le pied glisse sur la semelle intérieure, c'est tout lisse, tout doux, ça fait un joli galbe, ce talon qui affine le pied et par extension la jambe...c'est donc ça un des secrets des femmes ? Et ensuite, une toute autre impression, quelque chose de plus ténu, de plus subtil, je suis là, à goûter pour la première fois ce que ça fait "de l'autre côté"...sentiment curieux, mêlé du plaisir de la découverte et de la crainte d'être...découverte, justement. Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Je comprends que ce n'est pas la malle aux trésors du grenier, quand on se pare d'oripeaux mités et poussiéreux pour jouer aux pirates ou qu'on se coiffe du casque militaire du grand-père pour jouer à la guerre, mais quelque chose de bien plus insidieux, quelque chose qui va peu à peu l'emporter sur tout le reste, sans même que je ne le sache encore.

Alors je m'essaye à quelques pas, maladroitement au départ, quelle idée de se torturer les pieds avec d'aussi hauts talons, puis je prends de l'assurance et je finis par obtenir une démarche presque naturelle "pour une fille". Je dois sans doute avoir un "don" inné...et puis ce bruit sec, si caractéristique, ce claquement qui fait résonner les lattes du plancher, ces pieds au bas du jean qui ont soudainement un tout autre aspect. Tiens, c'est vrai ça, moi qui ne les regardait jamais, j'ai les yeux rivés sur eux dans la glace de l'armoire, je les trouve beaux, je me trouve...belle.

Hein, quoi, pardon, plaît-il ? Qu'est-ce que je viens de dire ? Attend, on la reprend, là, ça doit être les petits pois en boîte de ce midi (j'ai jamais aimé ça) ou un autre truc que je ne digère pas. Donc je regarde encore une fois l'image que me renvoie le miroir, sans me fixer sur le bas mais avec une vue d'ensemble cette fois...en "pied" comme on dit^^. Bon, j'ai un de mes t-shirts, mon jean, une paire de chaussettes de tennis blanches, et ces escarpins qui complètent le tout (tiens c'est marrant, depuis tout à l'heure je me mets de 3/4 ou de profil instinctivement). C'est fou comme un simple accessoire peut changer une silhouette ainsi que la façon de se tenir. Et puis c'est vrai qu'avec mes traits fins, mes cheveux longs et ondulés, juchée sur ces talons, je me trouve...belle.

Ah non, merde, ça recommence ! Eh oh, dis, arrête le Tonimalt...et puis arrête de mettre tes mains sur tes hanches comme ça ! Hein ? Quoi ? Tu dis que c'est plus gracieux que quand tu laisses tes bras ballants ? Oui bon, c'est pas la question, en plus il se fait tard et j'entends grand-mère qui revient du jardin, alors remets tout ça en place et vite fait !

Autre journée chez grand-mère, une fois le déjeuner englouti, je retourne dans la chambre de ma tante et retombe sur l'étagère à chaussures. Je vais pouvoir en profiter car c'est une belle journée ensoleillée et il y a pas mal de travail au jardin. Tiens, c'est drôle, pour une fois j'ai oublié mes Lego à la maison...

Je reprends mon exploration et cette fois je décide de toutes les essayer. Je les sors par paires et les place en cercle autour de moi, puis le "défilé" commence. Je laisse rapidement de côté tout ce qui n'est pas assez féminin à mon goût et je m'attarde sur plusieurs modèles, la plupart du temps avec des talons, tout en prenant des poses "féminines" devant la glace. Le pire, c'est que je ne me force pas à prendre la pose, mais ça me vient comme ça. Dommage qu'aujourd'hui je porte un t-shirt pas terrible...je me sens un peu moins...belle. Ah tiens, pas de réaction. Ou plutôt si. J'ai envie de me sentir encore plus belle, de me sentir encore plus fille. Ca tombe bien puisqu'il y a tout dans cette armoire pour me permettre de le faire. Toutes ces jolies robes qui sont accrochées à la penderie, n'attendant qu'un geste de ma part, un deuxième pas à franchir. Oui mais quand même... une robe, là je vais loin, ou alors juste une, rien qu'une fois, pour essayer, pour "voir". Et puis laquelle ? Je plonge au milieu de cet entrelac de vêtements. Surprise ! Mes mains frôlent les tissus, c'est tout doux, fluide, délicat, carressant...rien à voir avec ce que je porte en général, et puis les couleurs sont jolies, et ces touches de dentelle, et ces volants, et ces rubans...

Je quitte à regret (déjà) les escarpins. Je retire ensuite mon t-shirt et mon jean et je porte mon choix sur une petite robe noire à manches longues. Il y en a d'autres mais elle font vraiment trop "fille", alors on verra pour plus tard, peut-être, j'ai quand-même un peu honte de ce que je suis en train de faire. J'essaye de passer la robe mais elle a l'air trop petit. Ah ok, il y a une fermeture à glissière au dos, il faut dabord l'ouvrir. Je ne l'avais pas remarquée tout de suite car elle est différente de la fermeture éclair de mon jean : on ne voit pas les petits crochets qui sont beaucoup plus petits et noirs, et comme masqués par le tissu. Même la tirette est plus discrète, en forme de goutte d'eau allongée, et quand j'ouvre la fermeture, le bruit du zip n'est pas le même qu'habituellement. Les différences vont se nicher jusque là, c'est dingue. Je fais glisser la robe sur moi et je me retrouve aussitôt enveloppée de douceur, la matière est douce et fluide, le bas de la robe vient carresser mes jambes, je me sens légère, libre. En vivant cette nouvelle expérience, je me dis que les filles ne savent pas la chance qu'elles ont de pouvoir porter d'aussi belles choses, et puis je réalise que je suis finalement en train d'en devenir une, même de façon imparfaite. C'est beaucoup plus chouette que la panoplie de Zorro en plus, moi j'ai un vrai "costume de fille". A propos, il serait temps d'enlever mes chaussettes, je trouve que c'est encore plus joli sans. Je rechausse alors les escarpins et effectivement, mes pieds paraissent encore plus fins, mes jambes deviennent plus féminines, je me sens bien dans la peau d'une fille, et seule la perspective de devoir tout remettre en place tout à l'heure me rend un peu triste. Je voudrais que ce moment ne finisse jamais.

Je marche un peu dans la chambre, j'adore le mouvement que fait la robe à chacun de mes pas, quelque chose d'aérien, de gracieux, cette espèce de courant d'air qui se crée, cette carresse sur mes cuisses et mes jambes, quel plaisir de pouvoir marcher comme ça dans la rue. Vraiment, le monde des femmes n'est que douceur. Je décide d'essayer d'autres robes, celles qui faisaient encore plus "fille", au point où j'en suis, un peu plus, un peu moins....Là encore, c'est un véritable défilé de mode, j'alterne les chaussures, je joue avec les styles, j'invente des associations improbables, le résultat n'est jamais le même, certains mélanges sont très réussis et d'autres moins., j'aprends petit à petit toute seule dans cette chambre à devenir une femme. Zorro n'est qu'un sale con, je suis Alice au pays des merveilles, Colombine, Sissi impératrice, Cendrillon, Blanche-Neige, Angélique marquise des anges...quel est le con qui disait déjà que les anges n'ont pas de sexe ? Et les femmes, ça lui dit quelque chose à cette andouille ? Tiens, en parlant de femmes, il y a un truc qui m'intrigue et que j'aimerais bien comprendre un peu mieux : quel effet ça fait de porter un soutien-gorge ?

Je vais donc regarder du côté du tiroir à dessous, celui qui se trouve au-dessus (c'est con je sais mais j'aime bien^^) et je n'ai que l'embarras du choix : il y en a des blancs, des noirs, des roses, avec de la dentelle, certains avec des coques à l'intérieur, du coton, du satin, des tas d'autres matières dont j'ignorais l'existence, bref il y en a, tous pliés et rangés en bon ordre. J'en prends un blanc en dentelle que je trouve joli, et tant qu'à faire, je prends aussi la petite culotte qui l'accompagne, elle sera toujours plus jolie et plus douce que mon slip kangourou en coton que j'ai gardé sous la robe. C'est marrant ça, déjà qu'un mec ne doit pas pleurer, il faut en plus qu'il ait des fringues à chier, sans originalité, dans des couleurs et des matières qui feraient passer de la toile de tente de l'armée US pour la plus précieuse des étoffes. Remarque, je ne m'en plains pas, à chacun son monde et ses codes, j'ai compris avec le temps que je préfèrerai toujours porter un jean féminin qu'un kilt masculin, et puis franchement, Carlos en Rosalie, ça reste...Carlos en Rosalie.

Comment ça se met ? Bon, apparemment on rentre les bras dans les deux bretelles et ensuite on attache le tout. Ah mince, c'est dans le dos, on n'a pas idée aussi, je comprends mieux la pub d'Aubade qui dit supprimer le cauchemard des séducteurs en présentant son premier soutien-gorge à ouverture par le devant. Il y a toujours une agrafe qui refuse de s'accrocher en plus. Bon, j'ai compris, je l'attache devant en le mettant à l'envers, puis je le fais tourner et le fais remonter pour passer mes bras dans les bretelles au final. Le geste est moins gracieux mais l'heure tourne et je n'ai pas le temps de finasser. Ca serre un peu aux entournures, pas désagréable comme sensation, dommage que les bretelles soient un peu lâches....ahhhh, ça se règle en plus...oui là c'est mieux, j'ai le haut du buste comme emprisonné dans une petite cage, ça fait un peu comme mon sac à dos de colonie mais en beaucoup plus agréable et moins lourd. Petite déception en le mettant, l'arrondi des bonnets s'est écroulé comme un soufflé au fromage qu'on laisse refroidir. Il faut dire aussi que je n'ai rien pour tendre la dentelle et retrouver le galbe qu'il avait conservé dans le tiroir. Là c'est tout flasque, informe, et heureusement que la dentelle est jolie parce que ça me va comme un tutu à un hippopotame. En revanche, la petite culotte répond à mes espérances, diaphane et légère, un zéphyr sur ma peau. L'ensemble reste assez joli malgré tout car il est coordonné. Ca fait drôle de me voir comme ça,

Je suis en dessous, plantée devant la glace, et si on excepte le manque de volume du soutien-gorge, vu de loin j'aime beaucoup. En fermant à demi les yeux avec un léger flou, c'est une fille que je vois, et là je n'ai rien d'autre que de simples dessous. La prochaine fois que je vais au Jardin d'acclimatation, je demanderai à mes parents de m'acheter deux ballons, je suis sûre qu'avec ça j'aurai la poitrine d'une fille, et ce sera beaucoup plus joli. C'est vraiment bête...j'ai bien ma pâte à ballons mais ça risque de tacher, et puis de toutes façons elle est en bas et je n'ai pas envie de me rechanger maintenant pour redescendre la chercher. Je vois plusieurs collants roulés en boule, ça fera l'affaire pour aujourd'hui. J'en mets un dans chaque bonnet, puis deux. Finalement, un seul suffit et le rendu est plus naturel, avec deux c'est diforme. Ca y est, j'ai ma poitrine de fille et j'aime beaucoup ce que je vois dans la glace. Je remets ma robe (tiens, j'ai dit "ma" robe) et avant de remttre mes escarpins (ah ben tiens là aussi), j'ai envie d'essayer un collant. Tout à l'heure, pendant mes opérations de "garnissage", il y en a un que j'ai laissé tomber et qui s'est un peu déroulé. Quand je l'ai ramassé ça m'a paru très doux au toucher, et c'est encore plus fin que la culotte ou le soutien-gorge.

Je l'enfile doucement, en prenant bien soin de ne pas l'abimer (ça file d'un rien ces trucs là, à ce qu'il paraît). C'est encore plus doux que ce que j'imaginais... et une fois en place, j'ai l'impression que des centaines de plumes carressent mes jambes, avec toutefois une légère impression, pas désagréable non plus, d'être en quelque sorte entourée...."gainée" pour être exact, pas très original mais c'est exactement le mot qui convient : une douce prison, fragile et résistante à la fois. Et quand je laisse retomber ma robe, le moindre mouvement du tissu venant frôler mes jambes gainées de nylon (oui je sais, ça fait un peu roman de gare ou de salle d'attente de coiffeur, collection Arlequin, mais reprenez une pilule bleue et on repart au pays des merveilles), chaque fois que je fais un pas, j'ai des fourmis qui remontent le long de jambes et j'ai des frissons sur tout le corps. C'est divin, sentir ces imperceptibles nuances dûes sans doute au maillage du collant et à la douce matière qui le compose, la robe qui vient se coller parfois à mes jambes à cause de l'électricité statique....tiens, c'est exactement ça : je suis "électrique", tout mon corps n'est plus qu'un ion (un ion positif bien sûr), et cette fille devant la glace, qui se laisse emporter par ce tourbillon de douceurs, qui relève un pan de sa robe pour dévoiler une partie de ses jambes, cette fille qui passe la main dans ses cheveux, cette fille qui se surprend même à poser ses mains sur sa fausse poitrine d'un jour, comme si elle ressentait le besoin de se rassurer sur ce qu'elle est au fond de son être, cette fille, je crois bien que c'est moi...

Et puis bon, les années passent, la vie s'écoule tranquillement, celle qui décidera un jour de s'appeler Carolyne regarde le temps qui file sans prendre conscience qu'il ne se rattrappe jamais. Elle évolue entre ses deux mondes, celui de ce garçon dans le corps duquel elle est née, le "vrai", celui de l'état-civil, celui qui lui dit qu'elle doit préférer le bleu au rose, et puis l'autre, l'onirique, le merveilleux, celui dans lequel elle se sent pousser les ailes de l'ange, et pour lequel elle s'apprêtera un jour à faire "le saut de l'ange". Elle profite des moments où elle est seule pour être ce qu'elle a envie d'être. Elle a multiplié les découvertes, entre-temps ses parents ont acheté une maison dans un petit village "à la campagne"...dans la proche banlieue de Paris en fait, une commune pour "cadres moyens vivant au-dessus de leurs moyens", comme elle l'entendra beaucoup plus tard...mais qu'importe, elle s'y sent bien, entourée de l'amour de sa mère, sa mère dont elle a reçu tous les traits, et de l'affection de son père. Certes, les rapports ne sont pas les mêmes, chacun essayant de tenir le rôle qui lui est dévolu par la société. Amour, partage, abnégation, sacrifice, pour la mère, affection, éducation et rigueur, pour le père. Ce n'est peut-être pas tout à fait comme ça que les choses étaient à l'époque, mais c'est ce qui en ressort aujourd'hui. Et puis, elle est aussi un gamin "à problèmes", à décharge...

Caro a aussi une soeur, qui sera un peu le "garçon manqué" de la famille, la nature a horreur du vide et elle n'aime pas les déséquilibres, enfin je vois ça comme ça. Je l'aime bien ma soeur, plus jeune de 5 ans que moi et paradoxalement plus mûre...la valeur etc.... En fait non, à l'âge ingrat (chez moi il s'est poursuivi bien après), on s'est toujours entendues comme chiens et chats, on est cons quand on est mômes...si seulement on pouvait revenir en arrière....mais en même temps, le "rôle" que la société attend d'elle commence doucement à se profiler à l'horizon, et puis la puberté frappe à la porte.

Parlons-en de celle-là, tiens...connasse ! De quoi je me mèle ? J'étais tranquille à rêver à la fille que je voulais être et cette poufiasse vient casser mes jouets. Mysogyne, va....sexiste, même, je ne sais pas ce qui me retient de la signaler à la Halde. Bon, en attendant je suis bien emmerdée, moi. Alors, que je résume : je suis un garçon (si si) pré-adolescent, qui aime bien s'habiller en fille et qui aimerait être une fille, une "vraie" fille...et qui aime les filles (il y a des signes qui ne trompent pas, je ne vais pas vous faire le cours sur les fleurs et les abeilles). Cest Sigmund qui doit bien se marrer. Et je fais comment là ? Bon, ben, j'ai compris, me reste plus qu'à jouer sur les deux tableaux...ça va être commode...et cette saloperie de testostérone qui s'en mêle en plus. Où elle se cache celle-là ? Si je la trouve, je vais lui régler son compte en deux coups de bistouri...

Donc me voilà en route pour le collège. Premières "boums", premiers émois, j'aime les filles comme une folle mais je suis encore restée à la porte de l'enfance. Je les aime comme on aime les princesses des contes de fées, j'étais déjà timide et l'adolescence n'arrange rien. Il faudra que j'attende les années lycée pour LA découverte. Alors en attendant je commets bourdes sur bourdes, je deviens un peu plus ce gamin "à problèmes", tiraillée entre les deux aspects de ces mondes dans lesquels j'évolue. Dès que l'occasion se présente, je me mets dans la peau de cette fille, par "procuration", sauf que la donne a changé. Mon univers de princesses et de contes de fées évolue peu à peu vers quelque chose de moins féérique, à mi-chemin entre la perversion et le romantisme, entre l'ange et le démon (le premier qui dit que Satan m'habite a un gage), entre le royaume de Cendrillon et Sodome et Gomorrhe. Bref, je commence à me poser des tonnes de questions. Je me dis comme ça que cette fille que je veux être, c'est une façon détournée de "posséder" celles que je n'ai pas, et pourtant ce n'est pas ça. Et en même temps, il est loin le temps des premiers frissons d'être en fille, il me faut "plus" à présent (comme disait Custer, le problème vient des gonades). Alors je me réfugie dans l'onanisme, mais ça c'est pour la "galerie". A la fin de chaque "séance", je n'ai qu'une envie, tout arrêter, ranger mes "sextoys" avant l'heure dans les tiroirs du fond desquels je n'aurais jamais dû les sortir. Et puis ce vide affectif qui fait comme un grand rien tout au fond de moi, trou noir qui aspire tous mes rêves et qui grandit jour après jour, comme une bête qui vous ronge de l'intérieur...alors que moi je voulais tout simplement rêver au pays de Candy.

Je sais, c'est puéril, c'est gnangnan, c'est tout ce qu'on veut, mais j'y peux rien, je suis comme ça. J'aurais fait la fortune des romans à l'eau de rose, si ça n'avait dépendu que de moi. Mais seulement voilà, née trop tôt, des années passées à me demander ce que j'étais, de quelle "déviance" j'étais atteinte, enfin bref, j'espère que la réincarnation existe (avec le bol qui me caractérise, je me vois bien réincarnée en pomme de douche ou en bidet...quoique, en bidet...). Et pendant ce temps là, la vie continue, avec son cortège d'emmerdes. Pas facile d'être ado avec une "particularité" comme la mienne, personne pour en parler à l'époque, l'impression d'être un "cas", de ne pas être "normale"...enfin ça, celles qui sont comme moi doivent savoir de quoi je parle, je pense.... Petit coup de blues...ça va passer...voilà.

C'est donc pendant ces années que j'ai exploré d'autres facettes de mon côté féminin. J'ai connu mes premiers bas, mes premiers porte-jaretelles, les combinaisons en dentelle, les gaines, corsets, et autres combinés, toute cette lingerie que les catalogues de vente par correspondance apportaient au sein de la maison et sur les modèles desquels je me mettais à rêver. Combien de fois aurais-je voulu être à la place de ces femmes superbes, véritables bijoux parés des plus beaux écrins. Je m'imaginais être elles, revêtue des mêmes atours, qui laissaient deviner en en montrant le moins possible, qui permettaient à mon imagination féconde d'échaffauder les plus doux des scénarios. Mon corps se transformant peu à peu, et agissant également sur mes pensées, je réussissais en quelque sorte une partie de ma puberté féminine, passant du statut de fille à celui de femme, mais une puberté en parallèle avec celle qui me faisait m'en éloigner de plus en plus. Quel dommage, quel gâchis, quelle tragédie... Oh je sais bien, j'emploie des mots un peu forts peut-être, après tout je n'étais pas en mauvaise santé et plutôt dans un cocon, avec juste un tout petit peu plus de "problèmes" à gérer que la moyenne des ados de mon âge, rien de bien méchant en somme...

Ces années sont passées comme les autres, avec leurs joies et leurs peines, et moi, à la lisière des deux mondes, à cheval entre deux genres, l'un visible et l'autre caché, l'un correct et l'autre honteux...quelle connerie, quand on y pense, qu'y-a-t'il de honteux à être une femme ? Et puis la fin des années collège, un accident stupide de mobylette qui me laissera légèrement handicapée par la suite, et qui changera mon orientation scolaire. J'allais entrer au lycée, mais un lycée privé, un ancien établissement pour jeunes filles, qui venait de passer mixte l'année où j'y entrais...le hasard est facétieux parfois :)

Ah ben déjà...à peine le temps de se retourner et on arrive presque à l'âge "adulte". Eh oh, doucement, pas si vite, c'est que j'ai encore des tas de trucs à règler, sans parler de ma crise de l'adolescence qui n'est pas finie, comment voulez-vous que j'y arrive ? Elle est où la marche-arrière ? Y en a pas ? C'est une blague ? Ah oui mais non, on ne m'avait pas prévenue au départ, il y a maldonne. Vous dites ? Pas le choix ? Ca va encore arranger mes bidons, ça....bon ben alors on continue comme ça. Me voici donc au lycée, dans une classe d'une trentaine d'élèves dont vingt-cinq filles. Un bon point pour moi, un peu moins pour mes résultats scolaires, mais je survivrai...enfin on verra bien. Pour tout le reste, pas de changement, je reste la même, enfin la même, façon de parler. Je m'éloigne de plus en plus de ce que je voudrais être, et pas question d'en parler, et à qui et comment en parler ? Je ne sais plus trop où j'en suis. Et puis arrive cette nouvelle étape, la première fille que je tiens dans mes bras, la première que j'embrasse, la première à qui je dis "je t'aime". Je fonds comme une guimauve. Pas étonnant, depuis le temps que je me nourris de rêves, il faudrait me voir, une vraie midinette, pour un peu c'est presque moi qui prend sa place, et au fond c'est un peu ça, quelque part...

Et puis cette autre, celle qui me fait découvrir "le" grand mystère, j'allais dire celle qui se donne à moi pour la première fois, mais là encore, les rôles sont pratiquement inversés. C'est moi qui me donne à elle, en fait, qui m'abandonne en elle, qui me noie dans cet océan de tendresse et de douceur, entre ses bras, elle est cette Gaïa qui me porte, qui me transporte, qui me protège de tout le reste, qui apaise mes angoisses et qui m'emmène beaucoup plus loin que tout ce que j'avais pu imaginer. Avec elle, je ne suis plus enfin ce brun ténébreux, elle est mon Pygmalion, je suis sa Galathée, inversion des rôles encore une fois, d'autant qu'elle est plus âgée que moi, de deux classes au-dessus de la mienne, et à cet âge là, c'est pratiquement une génération qui nous sépare. Je voudrais pouvoir lui dire le mal mystérieux qui me ronge mais je n'ose pas. Alors puisqu'il faut donner le change, soyons une fois de plus conforme au "modèle". Cette idylle durera le temps d'un soupir, puisque j'y mettrai fin à un retour de vacances, ce que ça peut être con un mec, parfois. Et puis d'autres viendront s'ajouter à la liste, dont une pour qui je lèverai un pan du voile, à qui je montrerai enfin cette autre "moi" que je tenais cachée dans l'ombre de moi-même. Ca commencera par un "jeu", puis elle réalisera que c'est autre chose qu'un jeu, puis elle l'acceptera, allant même jusqu'à me donner certaines de ses affaires, que je m'empresserai de passer quand nous serons loin l'une de l'autre, pour être un peu elle et être avec elle à la fois par la pensée.

C'est ainsi qu'une nuit, mon secret a été mis à mal, alors que je m'étais endormie dans l'une de ses robes et autres lingeries, et que ma mère est venue voir si j'avais bien éteint la lumière de ma chambre. Au matin, l'air préoccupé, elle m'a demandé pourquoi je m'étais déguisée ainsi. J'ai bredouillé une vague explication, à moitié vraie en même temps, en expliquant que c'était une manière d'être avec elle à chaque fois que nous étions séparées, sorte de "doudou" grandeur nature, en occultant l'autre partie qui concernait cette autre en moi. Je crois qu'elle s'est contentée de cette réponse. J'ignore encore aujourd'hui si elle avait été dupe ou non et je ne le saurai jamais. Peut-être que j'aurais dû tout lui avouer à ce moment là, ça fait partie de mes regrets, car je suis sûre qu'elle m'aurait comprise, ma mère était un ange vous savez...

Et puis bon, le bac en fin de cycle...pour me donner le droit de poursuivre d'autres études...déjà que j'aime pas courir, ça va être coton. Alors du coup je me présente en touriste le jour de l'épreuve et je n'obtiens pas mon visa...et puis j'ai toujours ma crise d'ado qui prend le pas sur tout le reste, alors le bac, un bac D en plus, qu'est-ce que vous voulez faire avec ça ? C'est con, gamine j'aimais plutôt l'école et j'y avais de bons résultats...on ne devrait jamais grandir. Surtout que le monde des adultes commence sérieusement à m'emmerder. Plus le temps passe et plus les rêves s'érodent, plus le merveilleux de l'enfance cède la place à la triste réalité de la vie, on m'a même dit un jour que le père Noël n'existait pas...je devais bien me douter d'un tel truc, peut-être pour ça que je ne crois pas non plus en dieu. Tiens, pour vous dire, c'est que si j'étais dieu, je ne croierais pas en moi, et la meilleure preuve qu'il n'existe pas, c'est que je l'ai rencontré...

Et pendant tout ce temps là, je continue à multiplier les "expériences". Des bonnes, des moins bonnes, je me jette à corps perdu dans ce que je crois être la voie qui me correspond le mieux mais qui, en fait, ne fait que m'éloigner un peu plus de ce que je suis au fond de moi. Et merde, pourquoi rien n'est simple et qu'en plus je me complique tout ? Et c'est quoi mon avenir ? Je dis ça, je ne dis rien, mais à force d'à force, je risque fatalement d'avoir à le payer un jour. A trop tirer sur la corde, elle va finir par casser (j'ai dit la corde, pas l'élastique, je vous vois venir). J'ai lu un jour, dans une revue "scientifique"(Union, si je me souviens bien du nom), qu'il y avait finalement des gens comme moi et qui, comme moi, s'habillaient en filles. Bon ben c'est cool, je me sens déjà moins seule. Ah, l'article se poursuit en indiquant que dans la plupart des cas, ces gens finissent en asile psychiatrique, et que quand il ne s'agit pas de schizophrénie pure (deux personnes en une), c'est tout simplement de la perversion. Ah ben là je suis rassurée, je vais tout de suite passer commande de quelques boîtes rondes et jaunes à l'usine LaJaunie, des fois que j'en manquerais. Non, parce qu'il faut bien comprendre une chose, c'est qu'à l'époque, et je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans etc, les seules informations sur ce genre de sujet qu'on avait à notre disposition étaient très succintes et partisannes, voire carrément archaïques. Alors bon, j'étais donc malade.

Il fallait donc que j'en guérisse. Facile. Allez hop, je jette tout ce qu'on a pu me donner. Ah ben dis donc, ça va tout de suite mieux d'un coup. L'ennui, c'est que ça ne dure pas, je crois même que c'est pire. Tant que je n'avais pas eu conscience que ce que j'avais était soit un truc d'obsédé pervers, soit une maladie mentale, ça pouvait encore aller plus ou moins, mais là, je touchais le fond. Sexologues, je vous aime...enfin les anciens, aux idées bien arrêtées, un peu comme ces psys qu'on voit parfois dans les films, véritables caricatures de ceux qu'ils sont sensés soigner, vous savez, le mec avec plein de tics nerveux ou encore le vieux kroumir de l'Armée des 12 singes, pour ceux qui ont vu ce film. Tu m'étonnes ensuite que je m'en sois méfiée pendant des années, et que j'aie préféré garder pour moi ma "particularité". Heureusement qu'ils ne sont pas tous comme ça, mais ça je le saurai beaucoup plus tard. Quelques lueurs d'espoirs cependant, dans les ténèbres qui venaient de me recouvrir : un acteur, et non des moindres, qui parlait ces annés là de son penchant pour les habits féminins, Tony Curtis, ou ce compositeur, Walter devenue Wendy Carlos, qui avait composé la musique du film Orange mécanique. Ces personnes me servaient en quelque sorte de "cautions morales", et je me disais qu'il devait donc y avoir une autre voie. Mais n'ayant ni le charisme de l'un, ni le talent de l'autre, je restais cantonnée dans mon relatif anonymat. Et puis il fallait bien que je songe à faire quelque chose de ma vie....

Je me replonge donc à nouveau dans les "études". C'est passionnant, je redécouvre à nouveau qu'il y a des drosophyles aux yeux rouges et d'autres aux yeux noirs, que E=mc², qu'on a une chance sur un million de se faire mordre par une chauve-souris enragée (ah non, ça c'est plus tard), que le PIB du Liechten....Lishtenst...Lischt...zut, que l'appareil reproducteur masculin diffère du féminin (ben merde alors), et que l'aéroport de Marignane n'a pas été construit en 1515. Bref, je passe une autre année à donner le change à mes camarades de classe, à faire le pitre et quelques conneries pour épater les filles (les pauvres, si elles savaient), et à continuer de vivre cachée avec mes démons. J'oubliais, au cours de mes années lycée, j'ai même eu la chance de jouer dans la Boum 2, c'était plutôt sympa et ça m'aurait bien plu de faire une carrière dans le cinéma, mais n'est pas Sophie Marceau qui veut. Sans surprise, je passe mon bac avec brio (coucou Katia), mais comme on n'a pas le droit de se faire aider par une autre personne le jour de l'épreuve, je me fais tout naturellement bouler. Pas grave, il y a d'autres choses dans la vie. Je "décide" donc d'effectuer mon service militaire, ça manquait au programme et ça aurait été dommage de passer à côté de ça.

Et c'est parti pour un an. Juste une précision : à l'époque, j'avais de magnifiques cheveux longs et bouclés, qui me donnaient un côté féminin naturel (il n'était pas rare que je me fasse appeler "mademoiselle" lorsque je rentrais dans un magasin, et si je protestais un peu pour la forme, au fond de moi j'étais ravie). Et là d'entrée de jeu, la boule à zéro...je sens que l'armée va me plaire. A l'incorporation, on me pose des tas de questions, destinées sans doute à m'orienter au mieux de mes capacités, histoire de faire de moi un bon petit soldat, prêt à mourir pour "l'amère" patrie, des fois que des missiles soviétiques viennent à être pointés sur Zanzibar. Jouant de la batterie dans le civil, en toute logique militaire, on m'envoie dans un régiment de chars à Verdun, lequel possède une fanfare qui est à la recherche de musiciens. Chic, de la musique militaire, ma préférée, après l'acordéon d'Aimable et son orchestre...ça va être long, un an. Me voilà donc affectée (très affectée, vous pouvez me croire) dans cette unité, où on me demande de remplacer le clairon qui vient d'être libéré il y a peu (le veinard). Je suppose que pour un militaire, la batterie ou le clairon c'est du kif, ça ne m'avait pourtant pas sauté aux yeux de prime abord, et j'ai bien de la chance de pouvoir profiter d'approfondir mes connaissances et d'apprendre tout un tas de trucs dont j'ignorais l'existence. Je passe une merveilleuse année dans cet univers machiste, aux senteurs subtiles, qui vont des odeurs de pieds qui n'ont pas dû voir un savon depuis la dernière guerre, aux relents putrides d'effluves de latrines. N'oublions pas non plus les ordres imbéciles, aboyés au visage, les marches forcées, la boue, la franche camaraderie virile, et toutes ces joyeusetés qui font de la vie en caserne un paradis...Aux hydres de Mars, je préfèrerai toujours Vénus, je n'avais pas besoin de ça pour m'en convaincre. Enfin, ça aurait pu être pire, je n'ai pas été violée...

Plus tard, dans le train qui me ramènera vers la liberté, je passerai des heures à regarder mon reflet dans la fenêtre de mon compartiment, sous la lumière blafarde de l'éclairage de nuit de la SNCF, et je chercherai en vain, au fond de mes yeux morts ou dans ce visage désormais changé, cette once d'innocence perdue, cette étincelle de vie qui m'animait, cette femme que je ne pourrai plus jamais être..."ils" ont gagné, Caro est morte ce soir, dans ce train. Puisse-t'elle un jour renaître de ses cendres...

Retour à la vie civile, donc. Pendant cette année, j'en ai quand-même profité pour passer des concours, toujours ça de pris. Quelques petits boulots, en attendant de commencer mon futur métier, histoire de gagner un peu de sous. De temps en temps, Caro remonte un peu à la surface, mais le temps des rêves est terminé, et la société impose à ses ouailles de "devenir quelqu'un", et pas quelqu'un d'autre, alors il faut se fondre dans le moule, faire comme si, adopter une attitude conforme...c'est beaucoup moins plaisant que les contes de fées, mais je fais avec. Autres temps, autres rencontres, autres expériences...me voici dans la vie active, dans un milieu professionnel plutôt macho à la base...ma pauvre Caro, dans quoi t'es-tu fourrée ?

Le cycle des années commence. Inutile de préciser qu'au cours des années qui suivront, Caro aura de moins en moins de place pour évoluer et se contentera de survivre derrière l'huis clos du petit appartement de banlieue qu'elle finira par acquérir. Entre-temps, elle aura eu le loisir de faire la connaissance d'une autre femme, de vingt ans plus âgée qu'elle, avec qui elle parcourera un bout de chemin. Une femme qui a refusé de grandir, elle aussi, et malgré les vicissitudes de la vie qui ne l'ont pas épargnée, qui a su garder cette part de rêve, cette fraîcheur de petite fille, cette innocence... Elles se sont rencontrées grâce à ce qui préfigure déjà le monde de demain et ses "réseaux sociaux", un outil de communication passé de mode, la CB. 73-51 la station, 88 à l'YL, QRN sur la fréquence, je te copie à du 9+, passe en 3 fois "infs" et guide-moi jusqu'à toi. Bonjour, c'est donc toi Tatiana, moi c'est Troglomagnon, ou encore "Radio brise-burnes", quand j'ai décidé d'aller asticoter les routiers sur le canal 19 (punaise, quand pourrai-je enlever cette carapace ?). Le petit café de bienvenue, suivi d'un autre, prétexte à poursuivre la rencontre, et puis les heures qui passent et le moment de se séparer, en ayant pris le soin "d'oublier" son autoradio, seul alibi que j'ai trouvé pour revenir un peu plus tard, une fois que tous les amis seront partis. Et puis comme à chaque nouvelle histoire, les serments d'hypocrite, serre-m'en 5, ce fût un plaisir, serments du jeu de paumés, serrements de coeur, serments de vigne (in vino veritas), serre, ment, devine....On se raconte nos vies, tout bien, la sienne, étoile filante qui s'en va de temps en temps arrondir ses fins de mois dans un bar à entraîneuses du côté de Pigalle.

C'est curieux la vie, parfois... j'ai toujours eu un profond respect depuis pour toutes ces femmes qui vivaient "en marge". Elles sont toujours là pour palier à la détresse affective, font preuve de beaucoup de compréhension, et au-delà de leurs corps qu'elles vendent, elles donnent en fait de l'amour, comme seules les femmes savent le faire. Alors on se met "en ménage", elle abandonne pour moi les "extras", je l'aide à faire table rase de son passé proche, en évinçant son "protecteur"qui se voulait un peu trop protecteur, elle me fait découvrir le monde interlope de la nuit, et nous vivons un temps heureuses. Oui, j'ai dit "heureuses" car très vite, avec elle, Caro a repris le dessus...il faut dire qu'elle en a vu d'autres, mais elle est sensible à cette autre fille qui se dévoile peu à peu devant elle. Elle sera réellement la première à laisser Caro s'exprimer sans retenue, à lui permettre de vivre comme elle l'a toujours souhaité, à la voir évoluer , à lui offrir robes, chaussures, dessous, à se comporter avec elle comme elle le ferait avec une autre femme....enfin, un peu plus qu'avec n'importe quelle autre femme, car Caro devient "sa" femme, sinon dans les textes, du moins dans les faits. Nous glissons tranquillement toutes les deux, imperceptiblement et sans heurts, vers ce nouveau rivage de l'amour saphique, et nous l'abordons en toute sérénité. C'est ainsi que, grâce à elle, Caro découvrira qu'elle a une sexualité toute féminine, et que cette idée folle d'aller un jour au bout de son rêve prend sa source auprès de cette femme. Cette femme qui aurait bien aimé avoir un enfant d'elle, mais la nature en décidera autrement, on ne perturbe pas "l'ordre normal" des choses sans en payer le prix fort...c'était peut-être un signe, après tout....

Et puis la suite, d'autres rencontres encore, mais Tatiana est restée très proche de moi et nous nous voyons parfois, de loin en loin, car elle a fini par déménager. Cependant, à chaque fois qu'il nous est donné de nous retrouver, c'est entre femmes que ça se passe, bouffées d'oxygène avalées goulûment avant de replonger en apnée jusqu'à la prochaine remontée. Le reste du temps, Caro est condamnée à l'isolement derrière ses persiennes aux rideaux tirés, dans ce petit appartement de banlieue, là où elle passe ses nuits à espérer que quelqu'un réponde à ses messages qu'elle envoie par Minitel. Heureusement, internet et sa porte ouverte sur le monde va lui permettre d'en savoir un peu plus sur le fardeau qu'elle porte depuis tant d'années maintenant. Parfois, ses rencontres se prolongent un peu plus longtemps que la simple première et unique nuit, le temps pour elle de se confier, d'oser se dévoiler à ses compagnes du moment, avec plus ou moins de bonheur, suivant le degré d'acceptation de l'autre.

Tiens, c'est comme cette fille un peu barge qu'elle a recueillie chez elle, et qui ira raconter à sa famille, avec autant de tact et de délicatesse qu'un gueux se mouchant dans la nappe et s'essuyant le fion aux rideaux du bal de la marquise, que le mec avec qui elle couche aime se faire passer pour une fille, et qu'il faudrait peut-être voir à le faire interner, non mais sans blague. Elle ira même m'acuser de tentative de viol et d'actes de torture et de barbarie, prétextant également avoir été enceinte de moi, ce qui est assez farce, puisque si vous vous rappelez, ça m'est physiquement impossible d'avoir un enfant...il y a vraiment des gens bizarres. En attendant qu'elle avoue avoir tout inventé pour me nuire, ne digérant pas notre rupture, je vais passer de chouettes moments au commissariat local, je vous prie de croire, mais le pire dans tout ça, c'est surtout l'inquiétude de ma mère après ses révélations. Quoique, après tout, si j'avais eu le courage d'affronter mes démons à ce moment là, et de lui avouer la vérité, qu'elle n'avait pas à se sentir "coupable" de quoi que ce soit au sujet de ce fils qui aurait voulu être sa fille, que ce n'était pas sa faute si j'étais née autrement que j'aurais dû, enfin bref, j'ai encore une fois noyé le poisson par lâcheté...et puis n'oublions pas que la transexualité n'est plus reconnue comme pathologie mentale que depuis février 2010, alors à cette époque, vous pensez....

Toujours est-il que, de fil en aiguille, j'ai fini par rencontrer celle qui allait devenir la femme de ma vie...et aussi de cette autre vie. C'est marrant le destin, ça tient à très peu de choses des fois. Il s'en est fallu d'un rien pour qu'on ne se croise jamais, mais il devait y avoir quelque chose dans l'air ce jour là, car j'ai vraiment tout fait pour que ça arrive, sans le savoir à l'avance. Disons en gros que j'ai insisté lourdement pour être à la bonne place au bon moment, mais je n'en dirai pas plus. Laissez-moi cette part d'intimité pour l'instant...on verra plus tard, si vous êtes sages^^. Donc, on commence à se fréquenter, en tout bien tout honneur, sans qu'au début il n'y ait quoi que ce soit d'équivoque entre nous (c'est dommage, elle est plutôt jolie et elle a un je ne sais quoi qui m'attire). Et puis très vite, j'ai envie de la connaître mieux. Je lui fais le coup du "j'ai oublié ma montre chez vous, je suis venue la récupérer"...ah mince, elle s'en est aperçue avant et me la tend en me disant "vous allez oublier votre montre"....raté ! Bah, je trouverai bien un prétexte à la con...et puis non, si je lui disais simplement que j'aimerais la revoir, pas très original mais tellement plus vrai, allez chiche ! Premier dîner en tête à tête, promenade romantique dans un parc à la tombée de la nuit, c'est vrai qu'elle est belle, quand les rayons de la Lune éclairent son visage et qu'elle sourit à mes banalités. C'est un petit bout de femme, toute menue, le genre qu'on a tout de suite envie de protéger, ce côté femme-enfant qui ne fait pas son âge, et pourtant il y a comme autre chose qui émane d'elle, une force tranquille, on la sent pouvoir porter le monde à bout de bras, comme si son apparence fragile n'était que façade. En tout cas, elle m'intrigue...que dis-je, elle me fascine...et puis elle est douce, tendre et romantique, blonde comme les blés, et puis elle sent bon, ce parfum qui me ramène des années en arrière, parfum des jeunes filles en fleurs, on la croirait sortie tout droit d'une photographie de David Hamilton, ce sont des fleurs dans ses cheveux ou c'est moi qui suis déjà en train de rêver ?

Bon ben ça y est, je crois bien que je suis amoureuse, ou alors c'est le vin qu'on a bu à table qui me fait tourner la tête ? Oui bon, ne nous emballons pas, encore une de plus, c'est ça ? Et quand elle saura pour moi, ça va donner quoi au bout du compte ? Et puis si on enlève la Lune, le parc, le contexte, l'ambiance, la douceur de cette nuit, tout ça, ce n'est rien qu'un jeu de séduction de plus, on sait à l'avance comment ça va se terminer...tiens, c'en est même limite du réchauffé, des moments comme celui-là j'en ai connu des tas, c'est toujours le même cirque qui recommence...

Caro ! Reviens ici tout de suite, j'ai besoin de toi ! Arrête tes conneries et regarde : cette fille est belle, gentille, intelligente, elle a une aura naturelle qui se dégage de tout son être, elle est authentique, vraie, elle ne te décevra pas, alors essaie au moins !

Oui bon ok...et le pire, c'est que c'est vrai...et merde, pourquoi on ne s'est pas rencontrées plus tôt ? Il faut que je lui dise...mais j'ai pas envie de la perdre...déjà...

Alors on va se proposer de faire un bout de chemin ensemble...pour aller où ? J'en sais rien encore, on verra bien, et c'est vrai qu'avec elle j'ai envie d'une belle histoire, une de celles qui durent, comme pour ces couples de petits vieux qu'on voit se tenir la main dans la rue et chez qui on devine une tendre complicité. Ah dis donc, ce serait chouette de vieillir comme ça, elle et moi...sauf que pour l'instant on n'en est pas encore là et que je ne sais plus trop où j'en suis. C'est peut-être ça l'amour ? Oui mais mon "problème", j'en fais quoi ? Remarque, si ça se trouve, je me plante depuis le début à mon sujet, et qu'en fait mon rêve c'était de rencontrer une fille comme elle...va savoir....

Oui mais bon, c'est oublier un peu vite tout ce qui précède...on peut tromper une fois mille personnes, mais on ne peut pas tromper mille fois une personne (reprenez donc un chewing gum, Emile). Alors le mieux, c'est que je lui dise tout de suite. Donc je lui dis. A la seule différence qu'on est encore en 1998, que nous en sommes au début de notre relation, et que j'esquive l'aspect capital de mon problème, à savoir le réel changement d'identité. Ce sera ma dernière lâcheté. Elle saura donc que je me pense en fille, m'habille comme elles lorsque nous sommes entre nos 4 murs, mais elle pensera que ça passera avec le temps (et c'est vrai que ça me passe, un temps, mais que ça reviendra plus tard), que l'équilibre que je trouve avec elle suffira à arranger les choses...et puis tiens, histoire de conjurer le sort, on va même se marier, enfin pas que pour ça, parce que, petit à petit, on a commencé à construire quelque chose de très fort entre nous, ce truc qui se construit jour après jour, malgré les épreuves de la vie, alors on devient officiellement Mr. et Mme au bout de 3 ans de vie commune. Puis le départ pour la province, histoire d'avoir un meilleur cadre de vie. Elle plaque son boulot pour me suivre, parce qu'elle a décidé de partager le meilleur comme le pire avec moi...et ce pire est à venir.

Nous voici donc en Bretagne. On s'installe dans une gentille maison qu'elle aura à coeur d'en faire notre petit nid douillet. La vie se déroulera comme un long fleuve tranquille, jusqu'à ce que cette autre que j'avais enfouie en moi un temps décide de refaire surface. Ma femme a compris que je ne "guérirai" jamais et elle semble en prendre son parti. Elle laisse donc cette autre femme s'exprimer...malgré le fait qu'elle finira par lui prendre un jour celui avec lequel elle s'est mariée. Elle commence également à lui acheter des fringues et laisse parfois Caro sortir en voiture le soir, afin qu'elle puisse assouvir son besoin de pouvoir avoir le plaisir d'être dehors, comme n'importe quelle femme, tout en restant discrète. En fait, je suis déjà sans le savoir sur le vrai chemin de la transition, car c'est devenu un besoin quasi obsessionnel, qui va bien au-delà des clichés habituels sur les personnes transgenres. Certes, il y a encore quelques verrous, quelques portes encore fermées, mais elles finiront par s'ouvrir. Malheureusement, la clef que j'attendais n'aura pas la forme que j'aurais voulue.

Je crois que ce qui a précipité les choses, en fait, ce sont les décès consécutifs de mes parents. La mort de ma mère, tout dabord, m'a profondément affectée (qui ne le serait pas ?). Emportée à la suite d'une longue maladie, selon la formule consacrée...des mois de souffrance, des traitements toujours plus agressifs, une vie de labeur et de sacrifices qui se termine de la manière la plus abjecte qui soit...si dieu existe, c'est un bel enfoiré. Et puis ensuite l'accident de mon père et sa lente agonie. Là encore, j'ai du mal à croire à un dieu de miséricorde...de toutes façons, je m'en fous, je suis athée et vouée aux gémonies par les religions dans le meilleur des cas, eu égard à mon choix "contre-nature"...

C'est sans doute "libérée" du fardeau supplémentaire que j'aurais eu à assumer si mes parents avaient été encore en vie que ma décision finale a été prise ? Possible...j'ai toujours été assez lâche...mais peut-être pas, je ne le saurai jamais maintenant. Une sorte de nihilisme qui m'aurait poussée jusqu'au bout de ma "logique", après avoir vu une partie de mon monde s'écrouler ? Possible aussi...qui peut savoir ? Ou alors les idées de suicide qui commençaient gentiment à germer dans mon esprit, tiraillée entre l'amour de ma femme et l'aspect vital que revêtait le besoin de vivre enfin comme je l'avais toujours souhaité ? Peut-être un savant mélange de tout ça...et peut-être autre chose encore.

Je n'ai pas de réponses à apporter, juste des suppositions. J'ai mis plus de 30 ans à prendre la voie que j'estimais la "moins pire" pour moi, n'attendez pas que je vous livre les clefs en quelques lignes. Je n'ai pas cette capacité de synthèse. Tout ce que je sais, c'est qu'après en avoir longuement parlé avec ma femme, après avoir passé des mois à peser le pour et le contre, après qu'elle eût compris que c'était la seule issue, j'ai fini enfin par prendre rendez-vous auprès d'un psy, spécialiste des questions de transidentité....et c'est le début du long voyage.....

4 commentaires:

  1. sourires et émotions entremêlés....quel courage et quelle force en toi!Merci Caro.....c'est très beau!

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  2. Merci Zabeth, mais je suis très loin d'être forte, surtout depuis quelques mois...

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  3. Wouahou...lire çà en ce moment...et rester indemne...oui bon...
    Peux pas...
    Comme toi, après 30 ans à peser le pour et le contre, je vais laisser la prochaine vague m'emmener là où je dois...
    Tu as fais le bon choix...
    Sois heureuse.

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    1. Bonjour Valérie. Bon courage à toi si tu entames le parcours, c'est tout sauf un parcours de santé, il faut le savoir et s'accrocher, parce que le but à atteindre vaut le coup.

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