dimanche 24 avril 2016

Psychanalyse du singe

"J'ai appris à jouer la guitare avec la méthode Ogino"...heuh... non en fait; c'est juste le début de la chanson, mais il fallait bien que je trouve un autre titre de Thiéfaine pour continuer sur ma lancée (entre nous et un pot de saindoux, heureusement que je n'ai pas choisi de titrer mes chapitres avec des chansons de Vivien Savage, parce qu'à part "La p'tite lady", pour le reste, j'aurais été bien embêtée)

Si vous avez suivi mes folles aventures depuis le début, que vous avez eu le courage de tout lire, et si en plus vous avez tout compris sur moi, vous pouvez sauter ce paragraphe. Pour les autres (dont je fais partie), on s'en va aller fureter un peu du côté de chez Swan, juste histoire de voir si les fleurs des jeunes filles qui le sont (en fleurs... suivez, merde...) ne seraient pas faites tout à coup comme ça de vénélite compressée, et seraient devenues inaltérables à l'eau de mer, antimagnétiques, fluorescentes et ininflammables...

Bon, que je résume un brin, j'ai la chance extraordinaire de pouvoir compter sur le soutien total de la femme de mes vies, parce que, dans cette histoire, c'est elle et uniquement elle qui est une personne fantastique, un concentré d'abnégation, de tendresse, de douceur et d'amour, parce que, croyez-moi, il en faut énormément pour accepter une telle situation, et si je ne l'avais pas, ma transition se passerait très certainement beaucoup plus mal. Je ne dirai jamais assez à quel point elle est merveilleuse, puisqu'elle me supporte au quotidien, dans tous les sens du terme, et qu'elle fait tout ce qu'elle peut pour m'aider. Elle a parcouru des tonnes de sites et de pages web, cherchant à en savoir un peu plus sur le "phénomène", s'investissant chaque jour de plus en plus, avançant avec moi tout au long du lent processus qui devrait faire de moi ce que j'aurais aimé être.

Oh, je ne me leurre pas trop non plus. Tous les THS du monde, toutes les opérations de féminisation, tous les changements envisageables ne tendront qu'à me rapprocher de mon idéal, sans toutefois pouvoir l'atteindre définitivement, car si on se base sur un simple constat froid et sans appel, je sais très bien que je resterai toujours une femme issue de la transexualité, incapable de concevoir, différente des autres, ne serait-ce que sur un plan chromosomique, sans parler de tout le reste. Mais je sais aussi une chose, c'est que malgré ma volonté de devenir une femme à part entière, et non pas entièrement à part, je ne jetterai jamais aux oubliettes de la mémoire cette autre partie de moi qui me rappelle d'où je viens. J'aurai connu les deux "côtés", les deux facettes de cette existence, et si je préfère de très loin celle qui me tend les bras, je ne peux me résoudre à oublier l'autre. Renier son passé, c'est se renier soi-même, c'est se mentir. Que par la suite je ne souhaite pas forcément me promener dans la rue avec une pancarte sur la tête disant "Carolyne, ex-trans devenue femme", c'est tout à fait normal (et heureusement, sinon je ne vous dis pas pour passer les portes), sachant que de toutes façons, pour les gens qui m'auront connue "avant", cette pancarte sera bien là. Enfin j'ai aussi l'espoir qu'un jour elle disparaisse également pour eux. Mais une chose est sûre, c'est que si je suis toujours amenée à côtoyer d'autres soeurs en souffrance, je saurai leur dire tout mon parcours, si ça peut les aider à mieux appréhender le leur. Parce qu'il y aura toujours cet aspect de ma "communauté" que je veux pouvoir montrer aux autres, c'est que nous ne sommes pas (toutes) des illuminées qui auraient dans l'idée de "jouer" avec la nature par simple "caprice". Que les choses soient bien claires avec ça, cette souffrance est bien réelle et elle est profondément ancrée en chacune de nous (et en chacun de nous, pour les transexuels FtM, qui ont un parcours diamétralement opposé au mien, mais qui me rejoignent en tout point dans les motivations qui leur font franchir le même pas dans l'autre sens, ne jamais l'oublier non plus).

Mais cette souffrance, ce mal-être permanent, ne peuvent être compris que par des gens qui sont dans la même situation que nous. Et quelle que soit l'aide dont on peut disposer tout au long de son propre parcours, on reste toujours seule pour l'affronter finalement. Toutes les questions qu'on se pose quant à l'efficacité du THS, tous les doutes qui nous assaillent, toutes les angoisses qui pointent le bout de leur nez dès qu'un truc semble aller de travers, tout ce qui nous préoccupe au quotidien, il n'y a qu'avec d'autres copines qu'on peut vraiment en parler car elles seront passées par là aussi. Et puis ce n'est pas la peine d'en rajouter pour les personnes qui nous accompagnent, je pense à ma femme par exemple, elles ont déjà bien assez à gérer comme ça.

Je sais que je suis quelqu'un qui a en général une certaine "force" de caractère et aussi une "grande gueule" mais en fait je serais plutôt du genre guimauve ou coeur d'artichaud, et puis avec le traitement, j'ai de plus en plus tendance à "craquer" un peu à la première occasion et souvent pour des broutilles. Bon, en même temps, mieux vaut que j'en lâche "pour rien" plutôt que de tout garder et que ça finisse par exploser. J'étais déjà assez sensible à la base, mais j'avoue que là c'est le pompon. Il faut dire aussi que j'avais déjà une "vision" un peu désuète et décalée du monde des femmes, et aujourd'hui encore je n'en suis pas "guérie", puisque je continue exactement dans cette voie. En gros, disons que pour moi, j'associe la féminité et tout ce qui s'y rapporte à une extrème sensibilité, au romantisme, à la douceur, la tendresse, le côté "Belle au Bois dormant enlevée par le prince Charmant et emportée sur son blanc destrier", on pourrait presque parler de "mièvrerie" et quelque part c'est un peu ça.

Je risque, en disant ça, de faire hurler beaucoup de femmes, sans parler des féministes (celles qui vont jusqu'à brûler leurs soutien-gorges pour emmerder la société machiste...les connes, au prix que ça coûte ces trucs là). Qu'on soit bien daccord : c'est MA vision de la féminité et ce vers quoi je veux aller, mais je ne remets pas en cause pour autant toutes les avancées sociales et idéologiques des femmes, c'est juste le monde de Carolyne tel qu'elle le sent et tel qu'elle veut qu'il soit pour elle. Après, si les femmes veulent pouvoir piloter des avions de chasse, fumer des gros cigares, voire même aller jusqu'à se faire greffer un pénis, histoire que la parité ne soit plus un mythe, moi je m'en fous. Et puis il en faut pour tous les goûts. Les miens diffèrent un peu mais ça n'a aucune importance. C'est peut-être aussi, d'une certaine façon, une vision passée par le prisme du mec que j'ai été naguère, du temps où je me cherchais sans comprendre.

De toute façon, mec ou fille, j'ai toujours été attirée par cette vision du monde de Vénus, fût-elle fantasmée ou non, alors ce n'est certainement pas aujourd'hui, après tout ce chemin parcouru et tout ce que j'endure depuis quelques mois, que je vais tout changer.

Je ne deviendrai pas une femme des années 2000 et la suite ? C'est normal, vu que, quelque part, c'est un peu comme si j'avais été placée dans un caisson d'hibernation il y a plus de 30 ans, véritable cocon que j'étais, et que j'en sorte ensuite à l'état de papillon sans passer par celui de chrysalide....toujours ce désir de "sublimation" en quelque sorte. Si tout va bien, je pourrai prétendre être enfin une femme à l'horizon 2013 ou 2014 au plus tard, mais une femme des années 60 ou 70, voire des années antérieures, décalée de mon époque, et alors ? Et quel est le "modèle" de la femme de cette première partie du 21ème siècle ? Diam's, avec son cerveau de protozoaire, sa gueule de raie et son charme de mollusque lamellibranche ? Ségolène, la reine du Poitou, dont le seul fait de rebellitude de toute sa carrière aura été de divorcer d'avec Porcinet ? Ou encore Trifouilly-les-Oies Novotel...heuh...Paris Hilton, pardon, un beau petit cul couronné par du néant et une tête à claques ?

Idéalement, c'est sûr que j'aimerais être une femme de 20 ans, à la plastique parfaite, et qui ne se serve pas de sa bouche que pour dire "oui", avec une bonne situation, en bonne santé, etc, etc, etc...comme pratiquement la moitié de la population mondiale. Bon ben ça c'est pas possible dans l'immédiat, les carnets de commande sont à bloc et les délais de livraison accusent quelques années d'attente. Pas grave, on fera autrement, et puis si j'avais eu ce putain de courage d'avoir osé prendre ma vie en mains il y a 30 ans, tout serait différent auourd'hui. A ce sujet, quand je rencontre des copines à peine sorties de l'adolescence et qui hésitent, ne serait-ce qu'à aller voir un psy pour un premier entretien, sous couvert d'anonymat, quelque part je les envie, et j'aimerais être à leur place et à leur époque. Je vous prie de croire que je n'attendrais pas 30 ans pour commencer un THS. Mais bon, quand on a 20 ans, on croit qu'on a toute la vie devant soi, alors on ne va pas risquer de faire de la peine à ses proches, se fâcher avec ses amis, ou être montrée du doigt dans la rue, on aura bien le temps pour ça. Et puis un beau jour on découvre qu'on n'a plus 20 ans, qu'on a toujours vécu au fond d'un placard, que la vie est passée sans qu'on puisse la vivre comme on aurait voulu, et là, tout ce qui nous avait empêché à l'époque de pouvoir le faire devient tout à coup "secondaire", ou du moins ne semble plus aussi vital qu'avant, parce que le temps nous est tout à coup compté et que la souffrance qu'on a gardée toutes ces années en soi devient alors insupportable.

Oui, je sais, maintenant que j'ai "osé", c'est facile à dire par rapport aux autres qui se débattent encore avec leurs propres angoisses, leurs doutes, leurs contextes socio-professionnels, etc... Bien sûr que c'est difficile d'annoncer tout à trac à ses proches que "finalement, tout bien considéré, y aurait peut-être comme du mou sur la corde à noeuds et du hareng dans la gelée de coings, et qu'au final il faudrait songer à m'appeler mademoiselle, parce que j'ai comme dans l'idée d'être une fille". Et l'annoncer 30 ans après, quand on a réussi à donner le change, qu'on est bien installée dans sa vie "d'homme", à votre avis, il y aura moins de dommages colatéraux ? Peau d'balle, oui ! C'est encore pire, parce que tout votre entourage a été "dupé" pendant 30 ans, qu'il vous a donné du "mon grand, mon gars, mon pote" au quotidien...tiens, c'est comme de découvrir par hasard que toute sa vie n'est qu'un songe et que tout ce qui nous entoure ne sont que des images subliminales générées par un ordinateur relié à notre cortex, un peu comme dans Matrix...vous mordez le topo ?

On va sans doute me dire que les "bons conseils" que je veux donner à celles qui n'ont pas encore franchi le pas ne sont en fait qu'une espèce de "vie par procuration", cette vie dont je rêvais mais que je n'ai pas été capable de vivre, alors je me rabats sur d'autres pour la vivre à travers elles ? Possible...il doit y avoir un fond de vérité là-dedans, mais j'aimerais juste leur faire toucher du doigt tout ce qu'elles sont en train de perdre, par peur ou par lâcheté, peu importe, je suis mal placée pour juger, mais qu'elles regardent juste la vidéo qui suit, et qu'elles se posent bien la question de savoir si elles voudront un jour se voir comme Marie ou comme Virginie, tout ça pour dire que non seulement le temps joue contre nous mais aussi cette saloperie de testo qui nous éloigne chaque jour un peu plus de ce à quoi on veut accéder.



Alors ? Toujours convaincues que l'urgent c'est d'attendre ? Qui des deux semble vivre sa transition de manière sereine et épanouie ? Ok, je vous l'accorde, Eric, le père de Marie assure gravement et on aimerait que beaucoup de parents aient cette ouverture d'esprit et soient capables d'entendre la souffrance d'un fils qui, à 16 ans leur annonce qu'il veut devenir une fille, et qu'ils puissent lui apporter le même type de réponse. Et même si le cas de Marie et de son père fait figure d'exception, c'est votre vie qui se joue. Maintenant, libre à chacune de préférer commencer à vivre à 50 ans, chacun sa vie, moi ça ne m'apportera ni ne m'enlèvera rien de plus, j'ai pris la mauvaise option dès le départ et il n'y a pas de seconde chance. C'est juste que je trouve dommage de gâcher le principal si on est dans une logique de transition à long terme. Plus on s'y prend tôt et plus on contrecarre les effets de la puberté du sexe de naissance.

Une dernière chose, et parce que je m'aperçois que, paradoxalement, plus je m'approche de mon but final et plus tout ça me revient en pleine face, et qu'il ne se passe pas une journée sans que tout ce qui fait ma vie d'aujourd'hui ne soit prétexte à du spleen, pour dire pudiquement les choses, gâchant ainsi la joie du moindre signe d'évolution ou du moindre changement, vous avez la chance d'être dans une époque où la communication sur la transidentité n'a jamais été aussi forte, alors essayez, pour vous, pensez à vos soeurs d'infortune qui sont nées trop tôt, et qui, une fois leur voyage accompli, auront toujours dans un coin de leur être ce regret de ne pas avoir osé plus tôt. Gardez bien à l'esprit que la vie est courte, et qu'elle l'est d'autant plus pour nous toutes, qui commençons à vivre avec 20 ans de moins que les autres femmes, dans le meilleur des cas...

J'avais pensé vous parler de plein d'autres choses à l'origine, mais je fonctionne au "feeling" et j'écris en fonction de tout ce qui me passe par la tête, suivant le "mood" du moment. Je reviendrai peut-être sur tout ce que j'ai oublié dans ce chapitre, de préférence le jour où le "yoyo" sera en position haute, on parlera soldes d'hiver, du téton d'Alexandra Lamy qui donne des vapeurs à ces cons de puritains américains, du spot de pub pour les tampons qui a provoqué la colère des trans néo-zélandaises pour discrimination, du spot de pub de WonderBra pour sa gamme de dessous "Wonderbra Transsexual Secrets" qui ne devrait pas provoquer la colère de ces mêmes néo-zélandaises, bref, on parlera de tout et de rien, de rien si tout ce que je dis vous emmerde, de tout si vous pensez que rien ne peut vous emmerder, on verra bien le moment venu...

Je vous embrasse, prenez soin de vous...

Carolyne, transsexuelle...(parce que nous le valons bien aussi).

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