dimanche 24 avril 2016

Rendez-vous au dernier carrefour

Janvier 2011 - Janvier 2013...deux ans maintenant que je suis officiellement transsexuelle, l'heure du bilan en quelque sorte. Alors on va récapituler un peu, histoire de remettre tout ça en place et sans trop de digressions, que le plan du parcours ne ressemble pas à celui du métro.

J'ai donc commencé par consulter un psychologue clinicien avant toute chose, et après des années d'errance, de doutes, de questions, après des mois à avoir pesé le pour et le contre avec la femme que j'aime et qui me le rend au centuple. Coup de bol, ce spécialiste des questions trans a confirmé ce que je pensais être, mais qu'il m'aura fallu des années pour découvrir.

Ah oui tiens, au passage, avant tout ça, je pensais que la meilleure façon de règler mon problème serait de disparaître, soit "définitivement", car j'avais mesuré à quel point mon cas était désespéré, soit partiellement, dans une fuite à l'étranger, de l'autre côté de l'Atlantique, en abandonnant tout ce que j'avais pu connaître ici, quitte à ce que là-bas je me retrouve dans le caniveau, mais j'étais déjà arrivée à un tel point de non retour que tout m'était égal à l'époque. Je ne sais plus qui disait que les cas désespérés sont les cas les plus beaux...connerie... les cas les plus désespérés sont les cas les plus tristes et ils alimentent toujours la rubrique des faits divers à un moment donné.

C'est donc grâce à ma femme, qui a refusé de me laisser tomber, que ma vie a pu prendre ce tournant, et que nous avons décidé ensembles d'affronter l'avenir, vaille que vaille. C'est ainsi que le psychologue m'a adressée à une endocrinologue de Nantes qui gère pas mal de trans également, et après les examens et autres bilans de santé nécessaires, j'ai pu avoir accès au traitement hormonal de substitution. Dans le même temps, demande d'ALD par mon médecin traitant et réponse positive trois semaines après, et coming out officiel au boulot, avec les proches, la famille, etc, ainsi que les premières séances d'épilation du visage au laser (jouissif, comme un coup d'élastique à chaque impulsion).

21 mars 2011, première prise d'hormones, à base de progestérone et d'oestrogènes, après avoir écouté les "bons conseils" de celles qui savent mieux et qui recommandent de ne surtout pas prendre d'Androcur (un anti androgène puissant) à cause de ses effets secondaires indésirables, voire dangereux. Après 8 mois de ce traitement, et compte-tenu des résultats médiocres constatés quant à mon évolution physique, j'opte pour le classique Androcur/Estreva le 1er décembre 2011. Premiers vrais changements visibles au bout d'un mois, comme "boostés" par ce nouveau traitement, c'est encourageant (il était temps).

Puis l'année 2012, "mon" année, l'année du Dragon pour les chinois, celle de tous les changements pour mon horoscope, celle de la fin du monde pour les cons qui se sont fait berner par les gourous (comme quoi, il n'y a pas qu'au sein de la "communauté" qu'on en trouve).

Depuis un an, mes cheveux ont poussé, ma famille ne m'accepte pas en grande partie (sauf ma petite soeur, c'est le principal), ma femme a fini par jeter toutes mes fringues de mec, je vis encore en "androgyne" au quotidien, en adoptant des tenues "neutres" mais exclusivement féminines, je prends de plus en plus d'assurance dans mon évolution. Il faut dire que, par choix personnel, à partir du moment où j'ai commencé le parcours, j'ai décidé de ne plus jamais me "déguiser" mais au contraire d'être la plus naturelle possible, même si ça prend du temps avant d'avoir un "passing" acceptable. Je n'ai plus à me "cacher" derrière des tonnes d'artifices, ni à jouer une sorte de "personnage", juste me contenter d'être la personne que je suis, jouer la transparence en somme.

C'est ainsi que le 29 février 2012 exactement (ça ne s'invente pas), les gens me voient pour la première fois en jupe dans la rue et à partir de ce moment, rares seront les fois où je serai en pantalon, et ce au quotidien. Oh bien sûr il y a encore du boulot, mais tant qu'on me dit "madame" dans les magasins, moi ça me va. Et curieusement, depuis ce jour là, je n'ai jamais eu aucun problème, à part des regards en coin quelques fois, mais par rapport à tout ce qu'on peut entendre ou lire sur le net, y compris chez celles qui voulaient me donner des leçons de féminité, je n'ai franchement pas à me plaindre d'une quelconque transphobie à mon égard, et pourtant j'habite un petit village. Le tout est de se fondre dans la masse et se sentir bien dans ses talons, c'est la conclusion que j'en tire.

Parallèlement, je rencontre de plus en plus de gens issus de la "communauté", pour mon plus grand bonheur et mon plus grand malheur à la fois. On y trouve de tout : des gentils, des méchants, des sincères, des gourous, des authentiques, des sales cons, des transphobes même (si si), pour qui on est soi même encore plus transphobe qu'eux, des qui revendiquent des choses intelligentes, des qui revendiquent de véritables conneries, des "stars" médiatiques (dont certaines me décevront énormément), des qui font le trottoir pour vivre (et qui sont bien plus respectables que d'autres), des fantasmeurs, des mythos, des qui souffrent, des qui s'en branlent (dans tous les sens du terme), des poupées gonflables, des poupées gonflantes, des poupées de porcelaine, des intolérants, des naïfs... Bref, on serait officiellement 60.000 personnes trans en France, sans parler de celles qui sont encore au placard, soit en gros une "communauté" composée d'autant d'individualités...bon courage pour fédérer tout ça.

Personnellement, j'ai décidé de suivre le conseil d'une consoeur devenue femme, m'éloigner au maximum de cette "communauté" et ne garder que les ami(e)s. C'est déjà un parcours bien assez compliqué pour s'en rajouter.

Toujours au cours de cette année 2012, j'ai aussi découvert un truc essentiel quand on entreprend une telle démarche : on ne peut être opérée en France qu'à partir du moment où on aura intégré une équipe officielle, soit en commençant tout le protocole avec elle, soit en la rejoignant par la suite. Comme beaucoup, au début j'ai écouté les sirènes de celles qui savent mieux et pour qui ces équipes officielles représentent le Mal absolu à fuir dans tous les cas. Bon, c'est vrai que quand on lit la charte de la SOFECT, qui recommande un suivi psy et une expérience de vie réelle en femme pendant deux ans avant d'avoir accès à tout traitement hormonal, ça peut en décourager plus d'une. J'imagine les réactions si j'avais dû me pointer au taf du jour au lendemain en "total look", sans même encore savoir si j'avais fait le bon choix, pour qu'on finisse par me dire ensuite que je n'étais pas trans. Bonjour la transition en douceur. Cela dit, j'ai une collègue qui a opté pour cette solution, quand moi j'ai choisi de l'annoncer avant tout changement visible, histoire de préparer les gens, et finalement elle n'a pas plus été emmerdée que moi, alors bon...

Parce qu'il y a quand même une chose à comprendre, c'est qu'on n'entame pas un tel parcours sans au minimum s'être posé les bonnes questions et avoir envisagé toutes les éventualités, vu les bouleversements que ça va engendrer à tous les niveaux. Moi perso je ne pouvais pas imaginer commencer le parcours total sans avoir au moins la "garantie" de ne pas m'être trompée et de tout arrêter en cours de route, ça implique trop de choses. Alors oui j'ai eu peur de ce fameux protocole, comme beaucoup, alors qu'en fait il insiste juste sur "l'engagement" qu'on est prête à accepter pour aller jusqu'au bout. Aujourd'hui je sais que je ne me suis pas trompée, en dépit des difficultés, mais avant de franchir le pas je n'étais encore sûre de rien à 100%, et l'enjeu était trop important pour que je me fourvoie encore dans une voie qui aurait pu ne pas être mienne. 40 ans de questions sans réponse, je n'allais pas trouver la Vérité en 5 minutes, sur un simple coup de tête.

Mais seulement voilà, la voie que j'avais choisie, pensant faire les choses dans les règles, ne me donnait qu'une possibilité : celle de pouvoir être opérée à l'étranger. Or il se trouve que si, chez certaines, cette opération n'est pas forcément envisagée au début, pour moi elle était incontournable, et désirée dès le départ, ou alors ce n'était pas la peine de commencer. Là aussi tout ça se prépare, et je me voyais difficilement vouloir devenir femme en gardant mes attributs masculins. Ou alors ce n'est pas la peine de prendre des hormones et commencer le parcours en sachant que l'opération ne sera qu'une option facultative, il y a plus rapide et moins contraignant pour avoir des seins et une apparence féminine, sauf que ça ne me correspondait pas.

Donc j'apprends que finalement je n'ai pas d'autre choix que la Thaïlande, le Canada ou la Belgique, sans avoir vraiment d'idée sur ce qui m'attendra là-bas, les résultats, le suivi, etc, et les quelques témoignages que je peux recueillir ne me rassurent pas plus que ça. Pour certaines, c'est le nec plus ultra, pour d'autres, tout est relatif, et pour d'autres encore, il y a pas mal de "ratages". Bref, je suis bien emmerdée, d'autant que si je bénéficie de l'ALD31, je me demande finalement à quoi sert ce régime spécial si je dois aller me faire opérer ailleurs. D'un côté la société reconnaît officiellement mon statut de transsexuelle avec cette prise en charge, et de l'autre elle m'envoie chez Plumeau où un simple mot du médecin suffit, et en exagérant un chouille, où je pourrai me faire poser un néo-vagin ou encore me faire greffer une paire de cornes sur le front. Quand on voit des cas comme la femme chat ou Lolo Ferrari, je ne pense pas qu'un psy aurait validé de telles choses, et encore moins la sécu. Parce que là on n'est pas dans le "body art", où chacun peut faire ce qu'il veut de son corps avec un gros chèque et un doigt d'honneur aux psys qui n'ont pas leur mot à dire. En fait, c'est ce côté "je prends l'avion et je reviens 15 jours après avec un minou tout neuf" qui me gène un peu. En gros, comme si n'importe qui pouvait faire n'importe quoi par simple "caprice", comme cette femme qui veut être le sosie de la poupée Barbie. Avec les équipes officielles c'est beaucoup plus encadré, vu que chaque cas est examiné en commission et qu'il y a une vraie "légitimité" une fois le dossier accepté. C'est comme ça que je vois les choses.

Alors bon, je reste quelques semaines sans trop savoir quoi faire et vers qui me tourner, pensant devoir tout recommencer à zéro, lorsque je fais la connaissance d'une jeune consoeur qui a débuté le parcours en "free lance" et qui a ensuite intégré l'équipe de Bordeaux en cours de route. Elle me conseille d'en faire autant. De toutes façons, si je dois encore attendre deux ans comme le prévoit le protocole SOFECT, autant ne plus perdre de temps, alors j'y vais. 1er rendez-vous avec la psy de l'équipe en juillet. J'oublie les "bons conseils" de quelques gourous qui me recommandent de dire aux psys ce qu'ils veulent entendre et je choisis plutôt la vérité, ce que j'ai toujours fait depuis le début. Et puis il ne faut pas croire qu'on peut berner ces équipes en leur racontant des conneries ou en disant les mêmes choses que les autres, personne n'est dupe, je le tiens du chef de service de Bordeaux.

"La Vérité vous délivrera." (St Jean). Vous savez quoi ? Ben il avait raison, le gars, vu qu'au deuxième rendez-vous en septembre, j'apprends que mon dossier sera examiné à la commission de décembre et que je peux d'ores et déjà prendre contact avec le chirurgien, ce qui balaye mes craintes et toutes les conneries que j'ai pu entendre sur ces équipes. Mon dossier est accepté à l'issue de cette commission, ce qui doit en enquiquiner pas mal de la "communauté", car je n'y ai pas que des amis, mais je m'en fous. Je serai donc opérée en 2013, ainsi que mon amie, dont le dossier est passé également. Joyeux Noël et bonne année ma soeur, on a fini par y arriver et on est presqu'au bout du voyage...

Voilà donc où j'en suis, après deux ans de parcours, des hauts et des bas, des joies et des peines... Bientôt le saut de l'ange et la délivrance, même si peu de gens le comprennent ainsi, parce que cela aurait dû être ma vie et que cela le sera enfin...

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