dimanche 24 avril 2016

Syndrome Albatros

Clown masqué décryptant les arcanes de la nuit
dans les eaux troubles et noires des amours-commando
Tu croises des regards alourdis par l'oubli
et des ombres affolées sous la terreur des mots
Toi qui voulait baiser la Terre dans son ghetto
tu en reviens meurtri, vidé par sa violence
et tu fuis ce vieux monstre à l'écaille indigo
comme on fuit les cauch'mars souterrains de l'enfance
De crise en délirium, de fièvre en mélodrame
franchissant la frontière aux fresques nécrophiles
tu cherches dans les cercles où se perdent les âmes
les amants fous, maudits, couchés sur le grésil
Et dans le froid torride des heures écartelées
tu retranscris l'enfer sur la braise de tes gammes
Fier de ton déshonneur de poète estropié
tu jouis comme un phénix ivre mort sous les flammes
Puis en busard blessé, cerné par les corbeaux
tu remontes vers l'azur flashant de mille éclats
Et malgré les brûlures qui t'écorchent la peau
tu fixes dans les brumes Terra Prohibida
Doux chaman en exil, interdit de sabbat
tu pressens de là-haut les fastes à venir
comme cette odeur de mort qui précède les combats
et marque le début des vocations martyres
Mais loin de ces orages, vibrant de solitude
t'inventes un labyrinthe aux couleurs d'arc-en-ciel
Et tu t'en vas couler tes flots d'incertitude
dans la bleue transparence d'un soleil torrentiel
Vois la fille océane des vagues providentielles
qui t'appelle dans le vert des cathédrales marines
C'est une fille albatros, ta petite sœur jumelle
qui t'appelle et te veut dans son rêve androgyne...
Dingue, hein ? Et encore, t'as pas tout vu. Oui, je te tutoie, depuis le temps qu'on ne se connaît pas, que tu te coltines mes élucubrations sur écran glacé et papier tactile (t'as l'bonjour d'Emma, si tu connais la pub en rapport, et si tu ne la connais pas, tiens, cadeau).





Attend, dis, sérieux, tu sais que tu mérites une médaille ? Parce qu'à me suivre comme ça dans mes délires, ça force le respect, c'en est même bouleversant d'humanité, cette putain d'humanité qui semble tant faire défaut à bon nombre de mes semblables...enfin semblables, j'me comprends, parce que si on partage la même planète, on n'est clairement pas du même monde. Si je te disais tout ce qu'ils s'ingénient à trouver pour me faire chier, et toujours en loucedé, hein, car le truc en commun qu'ils ont avec les serpents qui sifflent sur ma tête, c'est qu'ils n'ont pas de couilles (du coup ils ont en commun un truc qu'ils n'ont pas, j'aime bien le concept). Mais on ne va pas utiliser la bande passante pour parler des cons. Attend, je tire la chasse...voilà, on peut continuer.

Bon alors que je te dise, et pour en revenir au titre, t'as déjà vu des albatros ? Autant c'est gauche et un rien concon sur les bords quand ça décolle ou que ça se pose, mais alors une fois en vol c'est magnifique. J'aurais pu tout aussi bien te sortir la bonne vieille métaphore du vilain petit canard qui deviendra un vilain grand cygne, mais je préfère l'albatros, fidèle et romantique, et puis si t'as lu Baudelaire et ce qu'incarne pour lui l'albatros (la dualité de l'Homme, pour faire court), et que tu es sensible à la poésie de mon chanteur préféré, je n'avais pas d'autre choix. Tiens, prend quelques instants pour t'imprégner du texte, en percevoir les allusions, en comprendre les sens cachés, en apprécier les métaphores, et tu as pratiquement l'histoire de ma vie.

Sinon, pour le reste, ça avance doucement. Je travaille chaque jour en jupe au boulot, parce que je me dis qu'à force d'avoir une vision plus féminine de moi, les gens finiront par se faire à l'idée à la longue, et puis de toutes façons un mec ne se met pas en jupe, à part un écossais peut-être. J'imagine ça comme une sorte de conditionnement : quand la minorité est visible au quotidien, elle finit par faire partie du paysage et devient alors partie intégrante de la majorité, jusqu'à ce qu'on oublie même qu'elle ait pu être un jour une minorité. Oh, je ne me leurre pas trop sur ça mais on peut toujours rêver, et puis j'ai même quelques collègues masculins qui me font la bise, et ça c'est génial et c'est courageux de leur part, car j'imagine que ceux "qui ne sont pas transphobes mais..." doivent aussi les regarder comme des bêtes curieuses. Bravo et merci, les gars, ce sont des gens comme vous qui me donnent encore foi en l'être humain, parce que depuis trois ans que j'en prends plein la gueule de la part du petit noyau dur d'imbéciles, franchement ça me met du baume au coeur.

Quant à mon état de santé, c'est pas très joice, je dois l'avouer. Fatiguée et parfois déprimée, à cause des hormones hein, on va dire ça comme ça, que sinon ça va m'être encore reproché (et puis ça leur ferait trop plaisir). Du coup j'ai pas mal de toubibs à consulter, à la fois pour le suivi ou l'entretien, mais ça m'oblige à de fréquents déplacements sur Paris ou ailleurs (rien que pour trouver un gynéco dans ma région c'est du sport). Mais bon, ça me fait voir du pays, et puis des fois ça me fait vivre des situations cocasses, comme lors de mon dernier voyage par exemple. T'as cinq minutes ? Je te raconte :

Timing serré entre deux rendez-vous à Paris, je tombe en plein sur une manifestation de sans-papiers, qui m'oblige à adopter une allure d'escargot. Je ronge mon frein à force d'appuyer dessus et, désespérée à la vue des précieuses minutes qui passent, je me dis comme ça : "Pffff...'font chier, ces cons !"
Je parviens enfin à quitter le trajet emprunté par le cortège et au premier feu rouge, un lavedu en scooter, qui a dû m'entendre à cause de la vitre ouverte, se pointe à ma hauteur et me sort : "Madame, il faut leur donner des papiers." Qu'est-ce qu'il vient me casser les...enfin bref, j'me comprends... Je lui réponds, avec l'air d'en avoir deux, que c'est pas le jour pour me faciliter le transit intestinal, et que moi non plus je n'ai pas de papiers, et que je n'en fais pas tout un fromage (à la louche, je passe sur les détails). Stupeur et incrédulité du type qui me rétorque par deux fois : "Je ne vous crois pas, vous êtes une femme blanche donc vous avez des papiers."
Bon ok, j'adore le sous-entendu raciste au passage, et comme le feu va bientôt passer au vert et qu'en 15 secondes il est humainement impossible de lui expliquer ce qu'est la dysphorie de genre et les conséquences qu'elle implique, et surtout que j'ai autre chose à foutre, je me fends d'un bref : "Bon écoute, bonhomme, je suis un mec !"
Là le type manque de tomber de son engin (au risque de me rayer la portière, ce con) et répète, avec l'air pénétré d'une poule qui aurait trouvé une boîte de préservatifs : "Un homme en robe ???!!!"
Feu vert ! J'écrase (rageusement) l'accélérateur vu que je suis à la "bourre" (en même temps on n'est pas loin du 36 quai des Orfèvres, pour ceux qui connaissent Paname), et je le laisse méditer sur tout ça en lui lançant un : "Ca te la coupe, hein ? Allez, ciao !" et d'un coup de saveur au rétroviseur je le vois se prendre le casque à deux mains et rester prostré dans la position du fœtus, tentant sans doute d'extraire le démon qui est entré dans sa tête par son conduit auditif.
Des fois je suis vraiment une peste...et en même temps faut pas non plus trop me chercher en ce moment, va savoir pourquoi...

A propos des papiers, mon dossier complet est chez l'avocat, plus qu'à attendre la date de l'audience au tribunal mais bon, pour moi c'est moins urgent que pour d'autres, vu que je ne suis pas en recherche d'emploi. Néanmoins c'est important, même si pour moi le plus important était mon opération, et sur ce plan là c'est magnifique, ça aussi c'est ce qui me fait tenir, quand je vois les résultats chez certaines (pour un peu je pourrais croire qu'il y a une justice immanente...si je n'étais pas athée).

Ah et puis si, il y a une belle chose qui m'est arrivée. Un soir de pluie j'ai fait la connaissance d'une sœur, une femme magnifique avec un cœur gros comme ça, et on s'est liées d'amitié, une vraie amitié, sincère et authentique, et elle je sais qu'elle ne me décevra pas. Comment dire, une petite sœur albatros elle aussi, une danaïde, tu vois ? Elle n'a pas tué son mari (comme les danaïdes de la mythologie grecque), c'est juste une image, mais elle est géniale, ma danaïde, et je suis très fière d'être son amie. Elle est plus jeune que moi mais elle incarne la grande sœur idéale que tout le monde aimerait avoir, et le seul reproche que je pourrais lui faire c'est de laisser un grand vide chaque fois qu'on doit se quitter. Surtout que tu sais quoi ? Elle est (re)née le même mois que moi, alors avec ta permission je vais lui dédier la chanson de mon article, tout en lui faisant un énorme câlin...



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